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L’innovation managériale, levier de transformation des organisations

8 Déc • par Camille Hugo

Pour répondre aux aspirations sociétales des individus, demandeurs de sens et d’inclusion, le renouvellement des pratiques de management est aujourd’hui un enjeu majeur pour les organisations. Pour atteindre un mode de fonctionnement organisationnel plus adapté et pour être en mesure de développer des capacités nouvelles telles que la créativité, la transversalité, l’intelligence collective et la prise d’initiatives, la notion d’innovation managériale s’avère être particulièrement intéressante.

De quoi parle-t-on ?

Dans The Future of Management (2017), Hamel différencie plusieurs types d’innovation et positionne l’innovation managériale non pas comme une conséquence des innovations techniques et de marché, mais comme l’innovation qui est à l’origine des autres formes d’innovations. Il identifie quatre formes d’innovations :

  1. Innovation de procédés : nouvelle manière de travailler au niveau opérationnel
  2. Innovation de produits et de services : nouveaux produits ou services
  3. Innovation stratégique : mise en place d’un nouveau business model
  4. Innovation managériale : “tout ce qui transforme substantiellement la façon de manager ou modifie de façon significative les formes d’organisation traditionnelles”

Pour Hamel, l’innovation managériale c’est donc un ensemble de micro-actions qui font évoluer les pratiques sur le terrain mais aussi les principes du management globaux qui régissent une organisation. À la suite, Autissier, Johnson et Moutot définissent l’innovation managériale dans leurs l’ouvrage L’innovation managériale (2018), comme un processus qui “vise à créer de nouvelles modalités de coopération entre les personnes pour la réalisation des finalités de manière efficace et efficiente en tenant compte des évolutions sociétales”. Selon eux, les diverses formes d’innovations managériales peuvent être classées en fonction de leurs finalités. Ils identifient cinq finalités qui constituent les piliers sur lesquels peuvent se construire des formes et des pratiques nouvelles :

  1. L’externalisation : création de formes organisationnelles en dehors des frontières traditionnelles de l’entreprise (exemple : les incubateurs)
  2. Le mode collaboratif : recherche d’intelligence collective, insertion de dispositifs améliorant les relations entre les personnes (exemple : les ateliers participatifs)
  3. La créativité collective : dispositifs qui permettent à tous d’être innovants et inventifs (exemple : le design thinking)
  4. Le co-apprentissage : modalités d’apprentissage sans sachant externe (exemple : le mentoring) 
  5. L’empowerment : invention de nouvelles formes d’organisation, de contrôle et de coordination entre les personnes (exemple : l’équipe autonome)

Pour les auteurs, les différentes finalités ont un degré de disruption plus ou moins élevé avec les pratiques managériales classiques mais toutes ont pour point commun l’objectif d’adopter un mode de fonctionnement cherchant une plus grande adaptation des systèmes organisationnels et des parties prenantes. Une nouvelle pratique — expérimentée par des équipes sur le terrain ou mise en place dans l’organisation globale— peut donc être qualifiée d’innovation managériale si elle permet de démontrer les limites du modèle classique et si elle introduit d’autres manières de faire.

Une réponse au “mal-être managérial” ambiant

“Les salariés ne sont pas fatigués de travailler, mais de mal travailler”

(Yves Clot, Le travail sans l’homme ? 2008)

 

Dans l’ouvrage Lost in Management (2011), le sociologue François Dupuy, démontre qu’il existe en France un “mal-être managérial” ambiant dans les organisations. Ce dernier serait causé par des facteurs exogènes — crise économique et environnementale, projets de rigueur —  et par des facteurs endogènes aux organisations tel que la déshumanisation et la bureaucratisation des systèmes gestionnaires. Selon lui, la sur-utilisation des systèmes informatiques, des processus et indicateurs de performance a conduit à une perte d’autonomie et de responsabilisation des managers et engendré de fait une souffrance au travail pour de nombreux salariés, “perdus dans le management”.

Poursuivant la volonté de faire évoluer le modèle de management classique de commandement/contrôle, on assiste aujourd’hui à une inflation du nombre d’innovations managériales aux noms aguicheurs : “les communautés de pratiques”, “le management collaboratif”, “l’organisation autogérée”, etc. Ces nouvelles pratiques ont toutes pour objectif de renouveler la façon dont l’organisation du travail est traditionnellement pensée et appliquée, en s’appuyant sur des principes qui s’opposent au fonctionnement des entreprises dites hiérarchiques ou bureaucratiques et aux logiques de management qui vont de pair : la centralisation des pouvoirs, le fonctionnement en silo, l’omniprésence de la hiérarchie, la spécialisation des tâches, le contrôle strict des moyens ou encore promotion d’une culture valorisant le respect des règles…

En cherchant à promouvoir une culture entrepreneuriale qui valorise la prise de risques et d’initiatives, les innovations managériales se sont construites à contre-courant des logiques de management traditionnelles et introduisent dans les organisations un plus grand partage des responsabilités, un fonctionnement transversal avec beaucoup d’interactions en mode projet et le renouvellement de la relation manager/opérationnel par la mise en place d’une relation plus collaborative avec une diminution — parfois même une suppression — de la hiérarchie.

Un levier pour faire évoluer les schémas existants

Concrètement, “faire” de l’innovation managériale ne consiste pas seulement à supprimer la hiérarchie et à “casser” les silos. Ce n’est pas non plus un outil universel à déployer pour transformer rapidement son organisation. C’est plutôt un processus qui s’intéresse à la pertinence des pratiques en place et qui expérimente de nouveaux modes de travail en lien avec les aspirations des parties prenantes. En proposant et en testant de nouvelles approches, les innovations managériales redonnent des marges de manœuvre aux acteurs de terrain comme aux managers. Pour ces premiers, le fait de pouvoir réinventer et repenser leurs pratiques quotidiennes par eux-mêmes constitue un levier de transformation durable de leurs modes de fonctionnement. Pour les managers, ces approches leurs permettent de confier de nouvelles tâches et responsabilités à leurs équipes et ainsi de se dégager du temps, de renforcer la communication et les interactions au quotidien et de retrouver une relation saine et positive avec leurs collaborateurs.

L’innovation managériale doit donc procéder d’un mouvement « par le bas » (bottom-up), et être inclusive et collaborative car elle ne pourra s’opérer avec succès et faire évoluer l’organisation que si elle est porteuse de sens pour l’ensemble des parties prenantes. Les acteurs de terrains, généralement exclus et limités à des tâches de pure exécution, doivent devenir les instigateurs d’initiatives qu’ils peuvent eux-mêmes développer dans un processus de co-construction avec leurs managers. Ces derniers, plutôt que de contrôler et diriger, facilitent et encouragent ces processus. Cette démarche nous ramène à l’éthique Foucauldienne de l’auto-transformation (1985), ouvrant à d’autres individus de nouvelles possibilités : ce sont les sujets — les individus que l’on manage —  leur rapport à eux-mêmes et à leur action qui deviennent les objets mêmes de l’intervention.

Finalement, les entreprises les plus innovantes ne sont pas celles qui dépensent le plus en innovation, mais ce sont celles qui impliquent le plus d’employés dans l’effort d’idéation pour trouver de nouvelles manières de faire.

 

CAS PRATIQUE

En France, chez Leroy Merlin, la stratégie à 10 ans de l’entreprise se construit avec les collaborateurs. Depuis 1995, tous les 10 ans, des cycles de travaux nommés “Vision”, fédèrent les membres de l’organisation autour d’un projet commun, celui d’élaborer le plan stratégique. Par le biais de nombreuses rencontres intégrées, l’entreprise demande à tous les collaborateurs d’imaginer ce qu’elle sera demain, de définir sa mission, de choisir ses engagements et leur donne ensuite les moyens de l’inventer pendant les 10 années suivantes. Impliqués directement, tous les collaborateurs contribuent à la concrétisation de la stratégie choisie et se sentent concernés par la réalisation des projets décidés lors des sessions collaboratives.